DU TEXTE COMME SENTIER Mon alter ego a décrit naguère le texte comme un lieu de circulation à l’instar de l’arbre et du sentier de montagne. "Nos mots sont de la même texture que l’arbre et le sentier. Eux aussi ne vivent que par la circulation du sens, de la vallée obscure des origines de nos langues jusqu’au bord du ciel hanté par les poètes et les philosophes. Ils sont les marcheurs, les bergers et la sève du langage, poussant obstinément dans la zone de combat du texte leurs mots noueux et retors et leurs troupeaux d’intraduisibles." Comment faire circuler cette sève des mots dans nos textes? Voilà sans doute la question que devrait se poser tout auteur, en s’inspirant effectivement de ceux qui savent entretenir un sentier, un canal d’irrigation, faire pousser un arbre. La tâche première et permanente, la vigilance de tous les instants, c’est d’enlever tout ce qui empêcherait la marche du lecteur de trouver son rythme. Ne pas trop expliquer, alléger sans cesse. Mais en même temps créer les nœuds, les difficultés qui l’étonneront, le forceront à ralentir, à observer, à reprendre son souffle. Quitte à ce que cela soit trop difficile pour certains, mais que ceux qui parviennent au bout du sentier ressentent cette sensation d’agréable épuisement qui accompagne l’arrivée au sommet. Le sentier aura fait son travail, et le marcheur également. On rencontre trop souvent des textes qui ressemblent à ces routes grises de morne plaine, où l’on peut cheminer rapidement dans un ennui total pendant des heures sans arriver nulle part et sans goûter aucun paysage. D’autres, à l’opposé, sont des jungles inextricables de mots griffus qui vous retiennent à chaque ligne, où l’on ne progresse qu’à grand-peine, sans comprendre ni où l’on est, ni où l’auteur veut vous mener. J’espère que vous pouvez lire ces lignes après quelques allers-retours de la terre au ciel sur un sentier de montagne. Et si vous n’avez pas cette chance, allez voir travailler les arbres, comme le grand-père Alain Le Goff. Publication originale Ewen Penanguer : https://penanguer.wordpress.com/2017/08/06/du-texte-comme-sentier/