PAGE EN CONSTRUCTION Vous vous souvenez des « pages en construction » de l’âge d’or du Web 1.0, le bon vieux panneau « Travaux » en gif animé, le Playmobil orange avec son casque de chantier? Quand donc, pourquoi et comment cette métaphore du chantier de construction s’est-elle ainsi imposée au détriment de celle de l’écriture? Cela reste un mystère pour moi, et mon moteur de recherche favori ne me donne aucune piste à ce sujet, impossible de dater son apparition. Car enfin, on ne construit pas une page, on l’écrit, on la rédige, on la compose à la rigueur. On peut supposer que l’aspect technologique l’a emporté très vite dans l’imaginaire de ceux qui se sont vus comme des bâtisseurs du Web, alors qu’il s’agissait plutôt au départ de tisser que de bâtir. Le Web est devenu rapidement une affaire de techniciens, d’ingénieurs, d’architectes systèmes. Vous pensez sans doute et à juste titre comme beaucoup de monde que cette métaphore totalement kitsch est démodée depuis vingt ans. Pourtant on en trouve encore, de ces pages en construction dont on sait qu’elles ne seront la plupart du temps jamais écrites. Avec quelques variantes qui renouvellent un peu le genre. Ainsi l’image suivante, qui parlera à tous ceux qui connaissent le vertige de la page blanche, se trouve répliquée ça et là sur quelques sites. Le créateur original, que je n’ai pu identifier car personne ne cite ses sources, s’il passe ici voudra bien me pardonner de la répliquer encore une fois sans savoir si elle est libre de droits, et me contacter s’il le souhaite, je serais heureux de lui en attribuer la paternité. [image : feuille de papier, crayons, gomme, taille-crayon avec le texte "page en construction"] Cette image hésite entre deux métaphores, celle de l’écriture et celle du chantier, et on ne sait pas trop si c’est volontaire ou non, à quel niveau il faut lire le clin d’œil. L’auteur (ou le constructeur) d’une autre page, conscient de cette incohérence, l’a retouchée sans vergogne pour ne garder que le côté écriture de l’affaire. Il ne cite pas la précédente comme source, mais les traces de gomme bien visibles ne laissent aucun doute sur la contrefaçon. [image : la même que plus haut, avec le texte "page en cours de rédaction"] Le titre lui-même de la page qui utilise cette image est d’ailleurs « Page en cours d’ecriture » (sic), ce qui montre des hésitations de vocabulaire, ou une mauvaise communication avec le graphiste. Il n’empêche. Cette image dans sa naïveté touchante nous rappelle que le Web avait pour objet au départ de donner une autre dimension à l’écriture, via l’hypertexte. Il s’agissait, et il s’agit toujours bien pour beaucoup de monde, y compris votre serviteur, d’un lieu où écrire. Cependant l’écriture sur le Web consiste de moins en moins à rédiger des pages au sens traditionnel du terme, et de plus en plus à participer à un flux continu de conversation, à travers les interfaces de réseaux sociaux. Une page facebook, Twitter, Google+ n’a plus grand-chose à voir avec une page de livre au sens classique du terme. Ou alors c’est un palimpseste réécrit en permanence. Et cette philosophie du flux s’étend en retour à l’écriture des livres eux-mêmes, qu’on n’hésite plus à publier en construction, et à corriger en ligne avec l’aide de ses amis auteurs, chroniqueurs et lecteurs plutôt que dans la solitude du cabinet d’écriture. Quitte à contribuer un peu plus à la déconstruction de l’auteur et du livre. Publication originale Ewen Penanguer : https://penanguer.wordpress.com/2017/07/09/page-en-construction/