IL ECRIT COMME IL PLEUT Bon, il faut bien que j’en arrive à cette affaire qui aurait pu être l’objet d’un des premiers billets tellement elle me tient à cœur, mais c’était un peu rude à attaquer directement. Maintenant que vous êtes un peu apprivoisé(e)s, que vous avez survécu à la déconstruction progressive de l’auteur puis du livre dans les billets précédents, vous êtes peut-être prêt(e)s pour la suite. Mais avant d’aller plus loin, je voudrais vous remercier d’être toujours là. À peine plus de trois semaines que ce blog est en ligne, et j’ai déjà eu plus de soutien et de retours que j’ai pu en avoir pendant des années sur certains blogs tenus dans d’autres vies, où je me sentais souvent bien seul, vox clamans in deserto. Non seulement c’est gratifiant, mais vos commentaires donnent des idées pour la suite. Et depuis le départ, à peine appuyé le bouton « Publier » que voilà le billet suivant qui se pointe à l’horizon. C’est ciel de traîne sur mer d’Iroise, vent de nord-ouest force 5 à 6, forcissant 7 à 8 sous les grains, mer très forte à grosse. Je ne sais pas comment vous suivez toujours de grain en grain, prenez deux ris dans la grand-voile si ce n’est déjà fait. Il pleut, il vente, ça tombe bien car le sujet du jour ce sont ces formes impersonnelles qui décrivent un état des choses, et qui donc n’ont en pas (de sujet). Ni d’objet d’ailleurs, mais dans nos langues prédicatives il faut au moins un sujet pour les besoins de la syntaxe. Les Chinois sont moins compliqués, il leur suffit du seul caractère 雨 pour désigner cet état des choses qu’est la pluie. J’aime ces formes impersonnelles toutes simples de tous les jours, le « ça pousse » des jardiniers, le « ça mord » des pêcheurs à la ligne. Je préfère le « Ça va? Ça va! » à l’égocentrique « Tu vas bien? Je vais bien! », s’il est vraiment compris comme une appréciation générale sur l’état des choses. Dans ce « ça va » dont je peux décliner par le ton de la voix toutes les nuances de l’enthousiasme à la résignation, j’inclus la famille, les proches, le travail, le jardin, le temps qu’il fait, pourquoi pas la gestation du roman en cours d’écriture et le monde en général. Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville, tous les verbes gagnent à être conjugués ainsi à la forme impersonnelle, et il serait dommage de considérer cela uniquement comme licence poétique. Il écrit sur ma page. Quand on peut dire ça, c’est que le « je » s’est retiré pour laisser couler les mots. C’est une impression jubilatoire, la même qu’on peut éprouver dans toutes ces situations où nous ne sommes plus qu’un lieu traversé par quelque chose qui passe par nous et qu’il faut bien se garder d’essayer de saisir. Dans la musique, la danse, dans tous les arts, même les arts martiaux. Et dans l’amour, bien sûr. On aimerait que ça écrive toujours de cette façon, en état de grâce, juste traversé par la résurgence des mots. Vous avez peut-être de temps en temps cette impression, je l’ai trop rarement. Mais quand elle est là, en général il n’y a plus à corriger ensuite. C’est le trait de plume, le coup de pinceau, la note attaquée juste tout de suite. Si on était courageux, on ne garderait que ces lignes-là, on jetterait tout le reste où l’écriture est encombrée de notre ego maladroit, et comme les maîtres du haïku, serions heureux à la fin de notre vie d’en avoir écrit deux ou trois qui méritent d’être conservées. Cette façon impersonnelle d’envisager l’écriture peut d’ailleurs jeter un éclairage différent sur un échange récent avec Elen Brig Koridwen à propos de l’empathie de l’auteur envers ses personnages. Elen la fonde sur « la capacité (de l’auteur) à se mettre à la place de l’autre ». Est-ce que ce ne serait pas plutôt à l’inverse la capacité à faire de la place en soi, à se retirer pour laisser l’autre prendre la place et s’exprimer? Dans ce cas, le « il » de « il écrit » cesserait d’être impersonnel pour devenir cet autre que je laisse écrire en mon absence.Il écrit comme il pleut Publié le 2017-07-07par Ewen Penanguer Bon, il faut bien que j’en arrive à cette affaire qui aurait pu être l’objet d’un des premiers billets tellement elle me tient à cœur, mais c’était un peu rude à attaquer directement. Maintenant que vous êtes un peu apprivoisé(e)s, que vous avez survécu à la déconstruction progressive de l’auteur puis du livre dans les billets précédents, vous êtes peut-être prêt(e)s pour la suite. Mais avant d’aller plus loin, je voudrais vous remercier d’être toujours là. À peine plus de trois semaines que ce blog est en ligne, et j’ai déjà eu plus de soutien et de retours que j’ai pu en avoir pendant des années sur certains blogs tenus dans d’autres vies, où je me sentais souvent bien seul, vox clamans in deserto. Non seulement c’est gratifiant, mais vos commentaires donnent des idées pour la suite. Et depuis le départ, à peine appuyé le bouton « Publier » que voilà le billet suivant qui se pointe à l’horizon. C’est ciel de traîne sur mer d’Iroise, vent de nord-ouest force 5 à 6, forcissant 7 à 8 sous les grains, mer très forte à grosse. Je ne sais pas comment vous suivez toujours de grain en grain, prenez deux ris dans la grand-voile si ce n’est déjà fait. Il pleut, il vente, ça tombe bien car le sujet du jour ce sont ces formes impersonnelles qui décrivent un état des choses, et qui donc n’ont en pas (de sujet). Ni d’objet d’ailleurs, mais dans nos langues prédicatives il faut au moins un sujet pour les besoins de la syntaxe. Les Chinois sont moins compliqués, il leur suffit du seul caractère 雨 pour désigner cet état des choses qu’est la pluie. J’aime ces formes impersonnelles toutes simples de tous les jours, le « ça pousse » des jardiniers, le « ça mord » des pêcheurs à la ligne. Je préfère le « Ça va? Ça va! » à l’égocentrique « Tu vas bien? Je vais bien! », s’il est vraiment compris comme une appréciation générale sur l’état des choses. Dans ce « ça va » dont je peux décliner par le ton de la voix toutes les nuances de l’enthousiasme à la résignation, j’inclus la famille, les proches, le travail, le jardin, le temps qu’il fait, pourquoi pas la gestation du roman en cours d’écriture et le monde en général. Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville, tous les verbes gagnent à être conjugués ainsi à la forme impersonnelle, et il serait dommage de considérer cela uniquement comme licence poétique. Il écrit sur ma page. Quand on peut dire ça, c’est que le « je » s’est retiré pour laisser couler les mots. C’est une impression jubilatoire, la même qu’on peut éprouver dans toutes ces situations où nous ne sommes plus qu’un lieu traversé par quelque chose qui passe par nous et qu’il faut bien se garder d’essayer de saisir. Dans la musique, la danse, dans tous les arts, même les arts martiaux. Et dans l’amour, bien sûr. On aimerait que ça écrive toujours de cette façon, en état de grâce, juste traversé par la résurgence des mots. Vous avez peut-être de temps en temps cette impression, je l’ai trop rarement. Mais quand elle est là, en général il n’y a plus à corriger ensuite. C’est le trait de plume, le coup de pinceau, la note attaquée juste tout de suite. Si on était courageux, on ne garderait que ces lignes-là, on jetterait tout le reste où l’écriture est encombrée de notre ego maladroit, et comme les maîtres du haïku, serions heureux à la fin de notre vie d’en avoir écrit deux ou trois qui méritent d’être conservées. Cette façon impersonnelle d’envisager l’écriture peut d’ailleurs jeter un éclairage différent sur un échange récent avec Elen Brig Koridwen à propos de l’empathie de l’auteur envers ses personnages. Elen la fonde sur « la capacité (de l’auteur) à se mettre à la place de l’autre ». Est-ce que ce ne serait pas plutôt à l’inverse la capacité à faire de la place en soi, à se retirer pour laisser l’autre prendre la place et s’exprimer? Dans ce cas, le « il » de « il écrit » cesserait d’être impersonnel pour devenir cet autre que je laisse écrire en mon absence. Publication originale Ewen Penanguer : https://penanguer.wordpress.com/2017/07/07/il-ecrit-comme-il-pleut/