PRESENT SIMPLE, PASSE COMPLIQUE J’écris au présent. Peut-être, comme dit dans un billet précédent, parce que je laisse mes personnages m’envahir de leur présence jusqu’à ce que l’écriture ne soit plus qu’une question de représentation, c’est-à-dire de rendre présent au lecteur ce qui est déjà présent à ma mémoire. J’ai bien essayé, dans une version préliminaire de Parure des Songes, d’écrire au passé. Je me faisais l’effet d’un fils de paysan qui porte pour la première fois costume-cravate devant un jury d’examen. Impression d’un retour sur les bancs de l’école, cinquante ans et plus en arrière. Ce qui me rassure, c’est que je ne suis pas le seul. Il me semble qu’on écrit aujourd’hui, dans la fiction, de plus en plus au présent. En tout cas beaucoup plus qu’au XIXème siècle. Il y a encore des adeptes de la narration à l’imparfait et au passé simple, mais j’avoue que j’ai souvent de la réticence devant ce genre d’écriture. Si elle ne me gêne pas dans la langue de Jules Verne ou de Théophile Gautier, il me paraît présomptueux de prétendre écrire aujourd’hui à la hauteur du style de ces grands anciens. Je suis à peu près persuadé que certains récits truffés de passés simples à en devenir lourdingues, scolaires, laborieux, gagneraient en légèreté à être écrits au présent. Mais certains auteurs manient encore la narration au passé sans que le style paraisse forcé. Voir exemples plus bas. Qu’on le veuille ou non, notre civilisation d’images et de connectivité immédiate nous fait vivre dans un présent perpétuel. L’usage du présent semble donc plus naturel dans une écriture imprégnée, consciemment ou non, de culture cinématographique. Dévoreurs d’images, nos lecteurs ne lisent plus comme leurs aïeux dont l’imaginaire devait être nourri par force descriptions détaillées, soutenues si possible par des illustrations réalistes. Heureux auteurs sommes-nous, qui pouvons nous payer le luxe de suggérer, de décrire à moindre trait en comptant sur la banque d’images du lecteur pour ajouter de la substance à notre récit. Mais pour le style, qu’il s’agisse d’écriture ou de vêtements, l’essentiel est de se sentir à l’aise, et de ne pas donner l’impression d’avoir emprunté le costume de son grand frère ou la robe de sa grand-mère. Pour illustrer, actuellement dans ma bibliothèque sur mBS, deux récits au passé, deux au présent, montrant aussi que cette question du temps du récit est assez indépendante du genre de fiction. - La parthénogenèse, de Anne-Laure Julien. Les aventures, très au présent et très présentes, d’une jeune femme très moderne. On n’imaginerait pas une seconde ce récit rédigé au passé. - Arch, de Romain Lebastard. Les aventures d’un loser quadragénaire, enfermé dans le boulot-bistrot-dodo jusqu’à ce que l’imprévu déboule dans sa vie. Récit au classique imparfait passé simple, mais malgré tout très vivant et très … présent. - Palimpsestes futurs, de J-C Heckers. De la SF pure et dure bien ficelée, sous forme d’une série de nouvelles, toutes au présent (sauf une, voir commentaire de l’auteur ci-dessous). Quand les univers deviennent multiples, de toute façon on est anachronique et au présent partout. - Le Cycle de McGowein – La Gardienne de Danarith, de Yannick A.R. Fradin. De l’heroic fantasy classique mais efficace. Le récit héroïque s’accommode fort bien de la narration au passé, d’autant que le dit passé est lointain et daté. Publication originale Ewen Penanguer : https://penanguer.wordpress.com/2017/06/17/present-simple-passe-complique/